musicologie

Frédéric Léolla, 24 mai 2023

Le triomphe d’Orlando et Alcina au Théâtre des Champs- Élysées

Jean-Christophe Spinosi. Photographie © Jean-Baptiste Millot.

Ça fait bien vingt ans que Jean-Christophe Spinosi joue l’Orlando furioso de Vivaldi. Ce n’est donc pas étonnant qu’il maîtrise la partition. Ce qui est par contre plus étonnant c’est qu’il arrive à l’aborder avec toujours autant de fraîcheur. Il réussit à donner des couleurs toutes différentes selon chaque air, évitant ainsi toute lassitude, même quand deux airs chantés par le même interprète se suivent. Sa compénétration avec l’ensemble Mateus est exemplaire. Il en tire des sortes d’ondes musicales par une parfaite maîtrise de l’intensité sonore, et cela donne un mouvement interne qui dynamise la partition « de l’intérieur ». Et l’ensemble Mateus, qui le connaît par cœur, le suit immédiatement à la moindre indication.

Luigi de Donato chante avec naturel, même si de n'est pas avec ce qu’on appellerait une « belle voix de basse ». Il réussit à donner les coloratures de son rôle — qui ne sont pas des moindres — chose qui, pour sa corde, est un peu plus méritoire, on le sait. Par contre Margherita Sala, en tant que Bradamante, possède une belle voix, mais n’est pas toujours audible, comme si elle avait des moments de distraction parfois, de sorte que ses coloratures sont parfois limpides, et parfois pas.

Adèle Charvet, qui est de plus en plus sollicitée comme mezzo, fait une prestation très estimable, même si, peut-être de par sa jeunesse, il manquerait encore de la rondeur et du volume pour que « ça décolle ». Quant à Ana Maria Labin en tant qu’Angélica, elle exhibe une voix limpide et un goût certain pour aborder ses airs lents. Dommage qu’elle manque peut-être de volume pour une si grande salle (parlant de musique baroque, en effet, TCE est très grand) surtout dans les airs de bravoure où l’orchestre va bon train, mais où la difficulté des ornements ne permet pas de donner toute la voix.

Filippo Mineccia en ce sens est gâté, non seulement parce que de ses trois airs, deux sont des airs lents, mais en plus parce qu’il lui correspond une des perles de l’œuvre, accompagné (superbement) par la flûte, et chanté avec une mezza voce ensorceleuse et un fiato notable.

En parlant d’« ensorceleuse », la création de Marie-Nicole Lemieux en tant qu’Alcina est plus que remarquable. Elle s’y donne à fond — parfois au détriment de la perfection vocale… Mais qu’importe quand il y a un si beau timbre, une émission aussi naturelle, une aussi grande intelligibilité, et surtout une si grande fougue expressive ! Sans compter la diversité d’accents, de la « croqueuse d’hommes » à la femme libre, en passant par l’amie magnanime, la femme amoureuse, la femme trahie, ou la furie haineuse.

La prestation de Carlo Vistoli est tout aussi impressionnante : volume, clarté, précision millimétrique de ses ornements, vitesse de Lamborghini, élégance, maîtrise des variations dans les da capo, homogénéité de timbre… Si à cela on ajoute expressivité et élégance, voilà ce que nous pûmes entendre au TCE : Chapeau !

Frédéric Léolla
24 mai 2023

Paris, mercredi 24 mai 2023. Théâtre des Champs-Élysées. Orlando furioso, dramma per musica in tre atti (RV 728). Musique d’Antonio Vivaldi. Livret de Grazio Braccioli d’après Orlando furioso de l’Arioste. Version de concert. Avec Carlo Vistoli (Orlando), Marie-Nicole Lemieux (Alcina), Filippo Mineccia (Ruggero), Margherita Maria Sala (Bradamante), Adèle Charvet (Medoro), Ana Maria Labin (Angelica), Luigi De Donato (Astolfo). Ensemble vocal Lili Boulanger. Ensemble Mateus. Direction musicale, Jean-Christophe Spinosi.


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bouquetin

Lundi 19 Juin, 2023 14:19